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« Affrication » : un « tchic » de langage qui provoque des frictions

Histoire d’une notion. « Amandjine mange à la cantchine ». Sous ce titre paraît dans Libération, le 12 janvier, un article consacré à l’affrication, qualifiée de « nouveau tchic de langage ». Phénomène phonétique pourtant classique des langues romanes, celui-ci déclenche un déferlement médiatique amorcé par un commentaire d’Eric Zemmour. Le président de Reconquête ! partage l’article sur son compte X, ajoutant laconiquement : « Le “grand remplacement” n’existe pas » et confondant, ou du moins superposant, africanisation et affrication. Les réactions ne se font pas attendre. Libération répond par un billet suivi d’une tribune pour « pacifier ce débat », Le Point et Le Figaro publient dans la foulée leur analyse de l’événement, tandis que, sur X, on épingle les présupposés à l’origine de l’affaire – « Zemmour raciste, inculte et visiblement incapable de lire un article au-delà du titre », vitupère la linguiste Laélia Véron.
Revenons-en donc à l’étymologie. L’affrication, du latin affricare, signifiant « frotter contre », désigne un mode d’articulation des consonnes. Si une consonne simple équivaut à un seul son, les consonnes complexes, comme les affriquées, joignent deux éléments sonores, en l’occurrence « un petit bruit d’explosion suivi d’un petit bruit de friction », selon la description de la linguiste Maria Candea dans le podcast « Vox ».
L’affrication résulte d’une obstruction du passage de l’air dans le conduit vocal, nommé occlusion – ce qui se passe lorsqu’on prononce [t] ou [d] –, aussitôt suivi d’un resserrement de celui-ci, nommé constriction – ce qui se passe lorsqu’on prononce [ch] ou [j].
Dans la langue française standard contemporaine, ce phénomène ne se rencontre pas tel quel, mais nous parvient au détour d’emprunts à d’autres langues romanes : la syllabe initiale du ciao italien en témoigne, prononcée [tch]. Que l’on songe également au ocho espagnol ou à la beach anglaise.
Toutefois, nul n’est besoin de s’extirper du français pour entendre des consonnes affriquées. En effet, ce mode d’articulation est généralisé au Québec, où il varie légèrement puisque les [t] et [d] deviennent [tz] et [dz] devant [i] et [u]. L’Office québécois de la langue française propose l’exemple de « tulipe » prononcé « tzulipe ». « L’affrication n’est pas tout à fait la même, elle est plutôt sifflante au Québec, et chuintante en français de France, mais le phénomène reste identique », résume le linguiste Cyril Trimaille dans le podcast « Vox ».
Et, surtout, l’affrication est un élément constitutif de l’évolution phonétique et lexicale de la langue française depuis son origine latine, ayant permis la transition de celle-ci vers celle-là. Maria Candea explique : « Il y a déjà eu des phases d’affrication qui ont modifié les sons du latin pour petit à petit aller vers les langues romanes. Elles expliquent le passage de caballus à cheval, de [k] à [ch] ; cela ne s’est pas fait en un jour, et, entre les deux prononciations, il a dû y avoir un phénomène d’affrication. »
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